Il faut que tu vives

Nous sommes en 1956, un soir d’hiver, nous avons décidé de jouer à cache-cache. C’est moi qui colle et dois compter jusqu’à 200. Je prends mon temps. Il fait nuit, le ciel est constellé d’étoiles que j’admire. Et soudain, curieusement, une pensée me traverse : « Dans notre maison de 14 locataires, (tous des ouvriers de l’usine logés à des prix minimes) tout le monde a une religion mais personne ne pratique. Cette religion ne sert qu’aux enterrements. Personne ne s’occupe de Dieu… ».
Alors, avant de me jeter à la recherche de mes camarades de jeu, je prends une décision qui me paraît héroïque (j’avais 15 ans) pour ce milieu dit « déchristianisé » mais qui en réalité ne l’a jamais été :
– Si personne ne s’occupe de toi, moi je m’occuperai de toi !
Héroïque en paroles, mais en actes ?

Connaissez-vous l’histoire des buveurs de Spiez, racontée par Erino Dapozzo ?
Ce sont 3 amis en virée à Spiez (en Suisse) de l’autre côté du lac de Thoune. Venus en bus, ils se sont tant attardés qu’ils ont raté le dernier voyage pour rentrer chez eux. Mince, que faire ? L’un d’eux, peut-être moins éméché que les autres, propose :
– Pas de problèmes les gars ! Au bord du lac j’ai vu des barques, il nous suffit de ramer !
Bonne idée ! La fine équipe prend place dans une barque et chacun rame à qui mieux mieux. Au bout d’un moment l’un d’eux dit :
– C’est bizarre, on devrait s’approcher des lumières de Thoune… Mais on est toujours aussi loin ! »
Après observation hésitante, l’un dit :
– Ah, ce n’est pas étonnant… on a oublié de détacher la barque !

L’apôtre Paul avait fait cette découverte (Romains 7 : 21) : « Quand je veux faire le bien, le mal est attaché à moi (…) Qui me délivrera de ce corps de mort ? »

Chaque matin, je déposais ma bicyclette chez mon copain Jean afin de poursuivre ensemble le reste du chemin à pied jusqu’au collège. Il habitait à mi-chemin entre ma maison et notre établissement scolaire. Dans ses propos, je le sentais très attiré par le mal et cela me faisait beaucoup souffrir. Il lui manquait une autorité paternelle (son père était capitaine en Algérie, lors des tragiques événements). Sa maman, qui fut par la suite atteinte d’un cancer généralisé, faisait ce qu’elle pouvait avec ses trois ados. Jean était le dernier d’une fratrie de 3 enfants, avec deux sœurs au demeurant sympathiques et studieuses.

Ma seule arme pour lutter contre les tendances mauvaises de cet ami était la morale. Nous avions des discussions interminables où j’essayais de convaincre Jean que ce qu’il pensait, lisait, faisait était mal (selon ma morale). Mais les mois et les années passants, je découvris que ma nature était la même que la sienne… Que petit à petit, comme une lente érosion, j’en venait à penser, lire et faire comme lui (ce qui était contraire à l’idéal élevé qui, je le ressentais, aurait dû être ma ligne de conduite). La Bible nous met en garde : « Les mauvaises compagnies corrompent les bonnes mœurs » (1 Corinthiens 15: 33).

Jean était sympathique et attachant… Je me découvrais moi-même à travers lui : un adolescent de bonne volonté mais qui n’avait pas la force en lui-même de vivre une vie qui plaît à Dieu. Ma barque était encore enchaînée et ne pouvait voguer jusqu’au port désiré. Il me fallait, comme l’apôtre Paul (Romains 7 : 25), réaliser ma faiblesse et reconnaître que Dieu nous donne la force pour vivre cette vie proposée.
 » Grâce soit rendue à Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur », qui Lui-même nous dit : « Si le Fils vous affranchit, vous serez réellement libre » (Jean 8 : 36).

N’ayant pas encore compris cette vérité, déçu et parfois écœuré de moi-même, je ne vis que lâchement la solution du suicide. Ah, si j’avais pu m’en ouvrir à quelqu’un ! Mais aurais-je eu le courage de lui dévoiler mes états d’âmes ? Ma résolution fut prise, et sans hésiter je la mis à exécution… Alors que je sentais la vie quitter mon corps, je ressentis, ô surprise, plus fort encore, une Main Puissante posée sur mes épaules et une voix me dire distinctement : – André, il faut que tu vives !
J’arrêtai le processus, interloqué, dubitatif.

Plus tard, employé au trésor public, il m’avait été confié la mission de démarcher une clientèle de personnes aisées en vue de leur faire souscrire un emprunt d’état. Ma route longeait la rivière de la Meurthe. Arrêté en bord de rivière, je me suis assis sur une énorme pierre qui surplombait un vaste remous. J’entendais comme une voix me dire :
– Jette-toi dans ce remous ! Dans quelques minutes, plus de combats, plus de soucis !
Mais là encore, dominant cette voix tentatrice, une autre ferme et douce qui me disait :  – André, il faut que tu vives !

Oui, Dieu allait s’appliquer avec tendresse et amour à se révéler à moi jusqu’à ce que je le trouve et le rencontre réellement enfin ! Et il allait merveilleusement œuvrer par la suite afin que non seulement je vive mais que je puisse le servir pour sa gloire.

« Je connais les projets que j’ai formé sur vous, projets de paix et non de malheurs afin de vous donner un avenir et une espérance »
Jérémie 29:11

 

-André